Comme de nombreux juifs polonais exilés à Paris avant la Seconde Guerre mondiale, l’adolescent qu’est alors Charles Denner vit en reclus avec sa famille, dans un petit deux pièces de la rue Basfroi. Aidé par ses aînés, son père taille ou reprend des costumes pour subsister. Le jeudi Charles peut s’évader de l’appartement et se réfugie au cinéma le Magic de la rue de Charonne et parfois au grand Rex, avec son frère Alfred. Sa vocation de comédien naît certainement dans l’obscurité de ces salles où se révèle la possibilité d’être autre.
Des débuts jusqu’à la fin de sa carrière, et malgré une longue parenthèse entre 1968 et 1984, le théâtre aura toujours occupé une place particulière dans la vie de Charles Denner.
L’image théâtrale débute certainement par ce souvenir de la petite enfance à Nowy Sachs en Pologne, qui évoque aussi un tableau de Chagall, où son père Joseph accompagné par un violoniste, danse en bas blancs dans un tonneau de chou. Après l’exil à Paris en 1930, ses parents l’emmènent assister à des pièces du théâtre du répertoire yiddish sur les grands boulevards.
Plus tard, durant son adolescence à Saint-Maur-des-Fossés, il apprivoise un coq qu’il promène sur son épaule en lui faisant faire des numéros qui réjouissent sa famille et les voisins. Le volatile finira en repas de famille mais Charles ne viendra pas à table ce jour-là. Il dévore plutôt les livres de la bibliothèque municipale de Saint-Maur et aussi les illustrés des Pieds nickelés de Forton dont il raffole. Il gagne plus tard un concours de grimaces dont il restera très fier.
Cliché privé : Charles Denner sur le plateau du TNP
Charles Denner rencontre puis épouse Simone Jaquier (Monette) sa première femme .
Ils auront deux enfants, un garçon Charlet, en 1954, puis une fille, Ethel, en 1955. Ils vivent quelques temps à Versailles dans la maison de la mère de Monette, puis à Brunoy en banlieue parisienne. Ils s’installent ensuite dans la petite maison de deux pièces que Charles Denner a construit lui-même à Montreuil (Quartier de la Patte d’Oie) avec l’aide de son frère Alfred et de ses amis (Henri le maçon, Walter Spitzer le peintre et sculpteur, Henri Jouf compagnon du cours Charles Dullin et comédien).
Cliché privé : Charles Denner et Simone Jaquier, au Luxembourg
Charles Denner intègre la troupe du TNP (Théâtre National Populaire) en 1949 où il se distingue, parmi d’autres pièces, dans Le Cid, Lorenzaccio et Tambour dans la nuit.
Le Cid
A 23 ans, Jean Vilar lui donne le rôle de Don Arias, le quadragénaire raisonneur du Cid de Corneille.
Un jour il m’annonça : «J’ai trouvé don Arias.» Tout le monde attendait qu’il ramenât un acteur quadragénaire au moins. C’est moi qu’il avait choisi. J’avais 23 ans.»
Aux côtés de Gérard Philipe, Germaine Montero, Monique Chaumette, Maria Casarès, Silvia Montfort, Jean Le Poulain, Philippe Noiret, Philippe Avron, et bien d’autres, il jouera dans presque toutes les pièces du répertoire du TNP de Jean Vilar puis de Georges Wilson de 1949 à 1964. Il fera quelques infidélités au TNP pour interpréter en particulier le jeune soldat dans La machine infernale écrite et mise en scène par Jean Cocteau (1954) et aussi pour jouer le Capitaine Lebladkine dans l’adaptation des Possédés (1959) mise en scène par Albert Camus.
«Depuis les débuts du T.N.P., j’étais de la distribution du «Cid» et du «Prince de Hombourg», les deux premiers spectacles de Jean Vilar. Je viens de jouer «Thomas Moore». Ainsi j’ai refermé la boucle.»
Mère Courage
«Brecht, je lui dois de grandes joies et le sentiment de servir à quelque chose. Dans «Mère Courage» j’interprétais quatre rôles en même temps : le sergent recruteur, l’espion borgne, le jeune soldat ivre et le lieutenant qui fusille la petite fille sur le toit.»
Arturo Ui
«Certes, et c’est une création que je ne risque pas d’oublier. Je ne suis jamais entré en scène sans avoir l’impression d’être l’homme qui touchait un quart des bénéfices réalisés sur les déportés d’Auschwitz.»
Les Rustres
A propos du personnage de Canciano :
« …/… Oui, mais en passant du théâtre à la télévision il perd de son importance. Car à la télévision la longueur du texte est primordiale pour un rôle étant donné que c’est celui qui parle qui apparaît à l’écran. Canciano parle peu , il est surtout présent et la technique de la télé escamote sa présence. Mais il reste le rustre positif, et le mot de la fin lui appartient : «Il n’y a pas à dire, c’est tout de même quelqu’un, ma femme», s’écrie-t-il.»
Ci-dessous : Cliché Agnès Varda – Au TNP de Suresnes, 1951
Les choses commencent à bouger un peu avant le débarquement allié du 6 juin 1944 en Normandie puis après. Le 5 juin 1944 le message « le chamois des Alpes bondit », code du lancement du «Plan Montagnards», a déclenché la montée en Vercors des volontaires.
« Nous étions parait-il moins de 500 en 1943. Là, nous devions être plus de 3000. Tous les volontaires qui arrivaient n’avaient aucune formation militaire et pas d’armes.Nous qui étions là depuis l’hiver n’avions ni artillerie ni mortiers. Juste des mousquetons, des grenades Gamon au plastic, un fusil mitrailleur, et très peu de munitions. Vers le 15 juin 1944 on est descendus du maquis pour le boucler avec les volontaires et barrer l’accès aux allemands. On devait réaliser la fameuse «Fermeture du Vercors» ordonnée par le Colonel Descour selon les ordres d’Alger. Les allemands montèrent dans le Vercors puis se replièrent. J’ai entendu dire pas mal de choses là-dessus. Comme quoi les américains cherchaient à faire diversion avec le maquis du Vercors pour amener les Schleus à croire qu’ils débarqueraient en Provence plutôt qu’en Normandie. Ou que les allemands ont cherché à nous pousser tous vers le sud pour nous tomber dessus. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. Ils ont attaqué ensuite le plateau, au sud du Vercors, le 21 ou le 22 juillet. Il y avait un aéroport tout neuf qui avait été créé pour les parachutages américains. C’est là que les planeurs allemands sont venus, à Vassieux. C’est le sud qui a trinqué parce qu’il n’y a pas de montagne par là. Heureusement, notre compagnie est restée dans le nord. A Autrans et autour… »
Aout 1944, les embuscades
« Les allemands reviennent très vite après leur repli. Ils envahissent le plateau du Vercors et les maquisards se terrent dans les hauteurs et la forêt. La guerre d’embuscade commence. Fin aout 1944, on intervenait sur les routes où on était sûr qu’ils passaient. Des attentes qui duraient des heures, des heures et des heures. Avec peu de munitions, on en était avare. Et personne pour nous ravitailler évidemment. Au final, il n’y aura que deux accrochages avec les allemands. La dernière semaine d’août, notre groupe était planqué à l’affût dans les hauteurs de la route. Un convoi allemand montait. Un des gars était posté devant avec une mitrailleuse. Aux deux «yuppes», moi et Fred, on a confié les deux grenades Gammon qu’on avait. Ce sont des grenades au plastic anglaises qui n’ont pas la vertu d’un explosif en largeur mais une action performante qui traverse les cuirasses. Alors, lorsqu’on a commencé à entendre les camions monter puis arriver enfin à notre portée. C’était au gars à la mitrailleuse de tirer. Mais là, rien… Elle s’est enrayée. Très vite, sous moi j’ai vu arriver un camion bâché. J’ai dégoupillé ma grenade et je l’ai balancée dessus. Fred qui était plus loin en arrière a fait pareil. Comme j’étais devant je me suis pris le souffle de la déflagration qui m’a couché très violemment sur le dos. Fred qui était derrière n’a rien eu. J’ai dû me relever très vite malgré une terrible douleur musculaire aux lombaires, car on devait se tirer fissa. Avec les deux grenades, on a tué la quinzaine de soldats qui étaient dedans. On a appris plus tard que c’étaient des croates. On n’est pas resté longtemps, juste le temps de constater qu’ils y étaient tous passés puis de voir si on avait encore le temps de fuir. Le reste du convoi était à une certaine distance du camion de tête. Alors on est redescendu très vite pour traverser la route et passer de l’autre côté pour remonter dans la montagne. Le convoi s’est certainement arrêté mais ils n’ont rien fait pour nous poursuivre. »
Une semaine plus tard leur groupe réalise un second attentat. Cette fois, ils sont embusqués de plus haut avec un fusil mitrailleur qui fonctionne mais sans grenade, avec seulement des mousquetons. Un convoi de camions passe. Ils tirent sans savoir si ils ont touché qui que ce soit, car les allemands ripostent immédiatement.
« On est remonté dans la montagne, et on a battu des records olympiques de course à pieds. Les balles sifflaient à nos oreilles et coupaient les feuilles des arbres qui nous tombaient dessus. On a retrouvé le camp et on a bouffé ce qui restait. On avait une faim d’ogres. Très peu de temps après on a appris que les alliés appuyés par l’armée française avaient débarqué en Provence le 15 août. Ils ont repris Grenoble le 22. On allait pouvoir redescendre dans la plaine car les allemands se repliaient vers le nord. »
2 septembre 1944, départ du Vercors
Le 2 septembre 1944 Charles et Fred quittent le maquis par l’autocar pour rejoindre Lyon qui vient d’être libérée.
Le 3 septembre 1944 ils défilent dans la ville au pas, devant le Maréchal de Lattre de Tassigny. On leur a donné des shorts bleus, des chemises kaki qu’ils portent avec leur béret des chasseurs alpins. C’était la seule chose d’un uniforme qu’ils n’aient jamais portée au maquis. Ils portaient seulement des blousons de cuir des chantiers de jeunesse. Ils reviennent ensuite à Grenoble où ils défilent aussi.
« Les parents suivaient au pas de course leurs enfants qui défilaient. Et nos parents à nous étaient là aussi, derrière nous. J’ai deux photos, de nous où on voit
manifestement qu’on ne marche pas au pas. »
Illustration Charlet Denner : « L’attente »
Charles et Fred rejoignent le maquis du Vercors.
Alfred se cache quelques jours dans une villa inhabitée en face de celle de ses parents. Puis il se terre pendant huit jours dans le grenier de l’école communale de Brive, où il est nourri par le directeur, le soir après le départ de tous les élèves. La famille fuit le pavillon de la Cité des Roses pour aller se cacher chez une tante habitant un petit logement à Grenoble. Ils déménagent ensuite à l’Ermitage, une maison isolée de deux pièces à la Haute-Jarrie. Charles et Fred se cachent chacun pendant quelques mois chez des paysans qui en ont fait leurs valets de ferme. Ils rejoignent ensuite le reste de leur famille à la Haute Jarrie. La propriétaire du lieu est douteuse et ils craignent d’être dénoncés. Trois jours avant que Charles et Alfred montent au maquis la famille décide de quitter l’Ermitage pour partir se cacher à La Mure, dans une ferme de montagne totalement isolée. Ils partent plusieurs fois se réfugier dans la forêt toute proche de leur maison quand ils apprennent ou craignent que les camions allemands montent au village.
« Quelques semaines avant notre départ pour le maquis, notre mère a fini par rencontrer un militant communiste en qui elle a eu confiance. Il lui a expliqué que Fred et moi devions écrire une lettre qu’il transmettrait à qui de droit. Pour avoir des chances d’être admis il lui a conseillé d’écrire que nos parents avaient été arrêtés sur la ligne de démarcation, que nous étions seuls et que nous voulions rejoindre le maquis. Peu de temps après on a reçu l’information du jour et du lieu où l’on nous attendait à Villard-de-Lans. On a pris le bus à Grenoble pour Villard-de-Lans. Il y avait parfois des contrôles de police. On a eu de la chance, personne n’est monté ce jour là. Et puis on avait nos faux papiers. A l’endroit indiqué à Villard-de-Lans le gars qui avait renseigné notre mère nous attendait. Il nous a conduits jusqu’à Méaudre, dans un bistrot. De là il nous a accompagnés jusqu’à Autrans. Puis on a marché à pieds pour rejoindre une cabane. Il marchait devant nous. Il n’y avait pas de chemin tracé. Il y avait de la neige déjà, mais il y avait des pas déjà faits. On a continué et on est arrivé à un camp.
C’était le C1 de Méaudre, un camp de l’AS (L’Armée Secrète) qui était gaulliste, les F.T.P. eux, étaient communistes. Ils auront la chance de recevoir une formation militaire des deux gradés qui commandaient leur groupe. De nombreux camps du Vercors étaient dirigés par des civils qui n’avaient aucune formation militaire et parfois pas d’armes. Ces combattants là furent nombreux à y laisser leur vie. Ce ne fut pas le cas de leur groupe. Les journées étaient occupées aux corvées de ravitaillement et à l’entraînement militaire. Des marches, du tir, allongés sur la neige glacée avec les doigts qui collent sur la gâchette en métal pour dégommer une bouteille à 100 mètres : on la rate bien sûr. On a trop froid ! Le doigt reste collé à la gâchette ou à la partie que tu tiens du mousqueton. Le froid et la neige tu les maudis. C’était entraînement et ravito, pendant des jours et des jours. On s’emmerdait assez tristement. Fred a tenu un journal en hébreu et en français pendant cette période. Il évoquait cette terrible monotonie, que j’ai vécue de la même façon… C’est comme ça qu’on a passé tout l’hiver 1943 jusqu’au débarquement de juin 1944. »
Cliché privé : Charles et Alfred Denner, Grenoble, 1944
Les Allemands entrent en zone libre. Ils occupent Brive la Gaillarde en novembre 1942 alors que les Américains débarquent en Algérie.
« La police de Vichy commence à rafler les juifs. Les premières rafles se déroulent de nuit et c’est d’abord les juifs étrangers qui sont arrêtés. D’abord ceux entrés en France après 1936, puis aussitôt après ceux arrivés en 1932. Après ça a été les enfants de ceux qui avaient fait Verdun. Ceux qui pensaient qu’ils ne seraient jamais arrêtés. On savait que la police avait commencé à boucler le quartier. On est resté toute la nuit terrés, chacun dans notre lit à attendre, sans bouger. Ils sont arrivés à l’aube, à cinq heures du matin. Ils entouraient la maison puis ils ont cogné à la porte. On n’a pas répondu. Ils sont revenus à 6 heures du matin, à l’heure légale, avec un serrurier, et ils ont ouvert la porte. C’était la police de Vichy avec des Allemands en civil. Ils sont montés et ont demandé : Qui est Éphraïm Denner ? C’était Fred, et ils l’ont pris. Notre père a fait un malaise au fond de son lit. Mais ils ne l’ont pas pris parce qu’il était trop vieux. Ni moi non plus parce que je n’étais pas majeur. Ce jour là ils n’emmenaient que les hommes aptes au travail… »
« Alfred sera relâché après avoir été sauvé par David Feuerwerker, le rabbin de la communauté de Brive la Gaillarde, dont il était devenu l’élève. Jenta, la mère d’Alfred, avait eu l’incroyable intuition de rapporter à son fils Alfred la radiographie du propriétaire de leur maison. Il était tuberculeux et elle l’avait retrouvée au grenier. Un pseudo conseil de révision réunissant les hommes raflés qui s’étaient inscrits comme inaptes au travail avait été improvisée au château de Ségur. Le rabbin embarqué dans la voiture du sous-préfet avait réussi à apporter la radiographie à Alfred qui fut réformé. Cinq autres hommes furent réformés avec lui : un vieillard, un aveugle, et deux autres. Vers six heures du soir, le rabbin les a réunis dans la pièce où ils étaient, où il y avait des châlits posés les uns à côté des autres. Il leur a dit : «Il n’y a pas de train ce soir pour Brive ; il y a un train demain matin. Les hommes libérés prendront le train demain matin». Le rabbin s’est alors approché de Fred, c’était au moment de la prière du soir et il lui a dit : « Tu retournes avec moi !». Il y avait une place dans la voiture du sous-préfet. Nous avons appris ensuite que le lendemain matin il y avait eu un contre-ordre. Les exemptés étaient repartis avec tous les autres. Et personne n’est revenu ! Sauf Fred… »
Cliché privé : Alfred Denner – 1946
Durant la seconde guerre mondiale, Charles Denner et son frère Alfred entrent dans la résistance (Armée Secrète de la France libre – AS) et participent aux combats du Vercors au C1 de Méaudre. Charles Denner sera honoré de la croix de guerre pour ses faits d’armes..
Charles Denner nait de Joseph et Jeanne Denner en Pologne le 28 mai 1926 à Tarnow (province de Galicie). Ses parents auront quatre, enfants, Elyse, l’ainée, Alfred le cadet, Charles, puis enfin Jacques, le benjamin. Des quatre enfants plus aucun d’eux ne subsiste aujourd’hui. Elyse Schlanger Denner ayant disparu le 30 avril 2015.
1928 – Nowy Sacz
La famille Denner s’installe à Nowy Sacz, au rez de chaussée d’une maison dans la ville. Les fenêtres de l’arrière de la maison donnaient sur la chaîne des montagnes Tatras. Des skieurs passaient en glissant sur la neige. Alfred et Charles restaient des heures accoudés à la fenêtre à les regarder et à attendre. Leur mère avait dit aux deux garçons que les cigognes allaient leur apporter un petit frère ou une petite sœur. Et ils attendaient là. Puis leur petit frère Jacques est né un peu après.
Plus tard, Charles a vu son père Joseph qui dansait dans un tonneau rempli de choux blanc. Il portait de grandes chaussettes blanches couvrant le bas de son pantalon. Il était accompagné par un violoniste qui jouait pour lui donner de l’entrain.
1930 – En avril
« Je devais alors avoir quatre ans. C’était un soir de Ceder et je roulais d’un bord à l’autre d’un lit immense et très large où l’on m’avait déposé. J’avais dû avaler deux fonds de verre de la liqueur de cerise qui avait servie au début du repas à faire la bénédiction. Fred me regardait avec des yeux comme des soucoupes. Et j’étais complètement saoûl, pour la première fois de ma vie. »
Cliché privé : « Les grands-parents maternels de Charles Denner »
Dans cette Pologne des persécutions et des pogroms à l’encontre des juifs, leur père qui est tailleur, prépare l’exil de sa famille vers la France.
Après deux échecs de la traversée de l’Europe, en 1926 et 1928, en se faisant passer pour un ferronnier dont il n’a pas les mains calleuses, c’est avec des papiers de curiste pour Vichy, où il ne se rendra jamais, qu’il réussit à rejoindre Paris en avril 1930. Cette même année, un peu après son installation, sa famille le rejoint. Charles qui a quatre ans ne parle que le yiddish comme eux tous. Après avoir été hébergée chez une tante, arrivée un peu avant, sa famille trouve un pauvre logement au 20 de la rue Basfroi dans le 11eme arrondissement de Paris. Aidé par sa femme et les ainés, son père réussit à reprendre son activité de tailleur dans le quartier. Le logement au quatrième et dernier étage du 20 de la rue Basfroi à Paris est composé d’une première pièce de quatre mètres sur six qui sert de logement et d’atelier de tailleur «au père». Une autre de deux mètres sur deux sans eau courante tient lieu de cuisine. Les w.-c. sont dans la cour et le point d’eau et de vidange de l’eau sale au deuxième étage. Les habitants comptent plus de juifs que de non juifs, dont beaucoup sont des veuves de 1914 – 1918. Ces femmes sont souvent haineuses avec les enfants « yuppes » de l’immeuble, à deux exceptions près : La fille de la voisine de palier qui a vingt ans. Elle corrige les devoirs d’Alfred pour qu’il obtienne les meilleures notes à l’école. Joseph lui fera un manteau pour la remercier. Il y a aussi Madame Audran, une veuve âgée qui vit là depuis la mort de son mari, tué aussi durant la première guerre mondiale, que Jenta, appelle pour prendre le café à quatre heures.Dans ce logement il n’y a qu’une table, qui sert surtout de table à repasser. Quand les quatre enfants reviennent de l’école à midi pour déjeuner, si le père doit repasser, ils s’assoient sur le rebord des deux grandes valises sorties de dessous le lit. Et les assiettes sont posées sur les chaises pour qu’ils puissent manger. Charles est inscrit avec son frère Alfred, à l’école communale de la rue Trousseau. Avec son fort accent yiddish et son naturel de justicier bagarreur, au grand désespoir de sa mère et de la colère de son père, il en revient souvent avec un œil au beurre noir et des habits déchirés.
Cliché carte postale Gondry : « 1, rue Basfroi à Paris »